Rotary Social Club

lundi 14 novembre 2016

Les Echos

par Jean-Paul Coulange, le 10 novembre 2016

Connu pour ses actions humanitaires, le Rotary a d’autres initiatives à son actif : emploi, formation et apprentissage, soutien financier… Une facette qui attire aussi une nouvelle génération.

Ce mardi d'octobre, ils sont une douzaine de cadres, réunis dans une banlieue de Meaux, en Seine-et-Marne. Ingénieur, responsable financier ou commercial, tous cherchent un emploi. Face à eux, un coach, un patron de PME, une représentante de l'Apec, le responsable d'une association d'aide à la création d'entreprise, les écoutent se présenter à tour de rôle et leur prodiguent des conseils. Nous ne sommes pas dans une agence de Pôle emploi, ni chez un spécialiste du reclassement, mais dans les locaux du Rotary. Pour la réunion hebdomadaire du Club emploi cadres de Meaux, qui se flatte de recaser, en six à neuf mois, près de 80% des cadres qui frappent à sa porte. Des chiffres à faire pâlir d'envie le service public de l'emploi ! « La différence avec Pôle emploi, c'est que nous sommes des cadres qui parlent à des cadres », explique Bernard Béraud, le fondateur du club, désormais à la tête d'une association regroupant les Clubs Emploi cadres qui fleurissent un peu partout, de Compiègne à Aix-en-Provence, en passant par Orsay. « J'ai créé ce club en 2012, après celui de Claye-Souilly, parce qu'en tant que cadre dirigeant d'une boîte d'ingénierie, il a fallu que je licencie de jeunes ingénieurs. Et ça fait mal », ajoute-t-il.

« Le Rotary est surtout connu pour son action humanitaire, en particulier pour le programme d'éradication de la polio, reconnaît Bernard Letailleur, l'animateur de la soirée, dirigeant d'une PME spécialisée dans l'usinage numérique pour l'aéronautique. Mais il y a aussi, et de plus en plus, d'actions à caractère professionnel. C'est le seul club services qui en fait autant. » (voir encadré) C'est aussi celui qui a tissé les liens les plus étroits avec les chambres économiques, chambres des métiers, chambres de commerce, les réseaux de financement, les associations d'entrepreneurs, les collectivités territoriales.

En matière économique, les clubs Rotary ont de l'imagination : études d'intelligence territoriale en liaison avec les collectivités, forums apprentissage, rencontres d'entreprises sur le numérique, séminaires de formation pour jeunes diplômés, mentorat de chefs d'entreprise. Sans compter le prix de l'avenir professionnel, pour récompenser de jeunes apprentis : prix du jeune créateur d'entreprise, trophées de l'innovation, simulations d'entretiens d'embauche et ateliers informatiques dans les missions locales... Le panel d'actions est vaste et le « service de l'autre », inscrit dans les gènes du club, va très loin.

Le nom du Rotary n'a pas été prononcé, fin septembre, lors de l'inauguration, par François Hollande, de l'imprimerie de Dammartin-en-Goële, dévastée par le passage des tueurs de Charlie Hebdo, mais la majorité des clubs Rotary de l'est parisien, mobilisés par le maire Michel Dutruge, rotarien et ancien « gouverneur » du district 1770 (grand est francilien et Oise), ont payé leur écot pour aider au redémarrage de l'entreprise. Une tradition chez les Rotariens, dont le credo est « Servir d'abord ». Après la tempête Xynthia, qui a touché l'ouest de la France en 2010, les clubs avaient aidé une bonne vingtaine de jeunes professionnels de Vendée, éleveurs, ostréiculteurs, artisans, à repartir du bon pied.

« On avait un peu perdu de vue les professionnels depuis huit ou dix ans, observe Patrick Joyeuse, un « Gadzart » (ancien élève de l'École des arts et métiers) qui dirigeait une entreprise spécialisée dans le matériel médical dans l'est parisien. Or, dans les clubs de Chelles ou de Lagny (Seine-et-Marne) que je connais bien, il y a environ 30% de chefs d'entreprise, dont beaucoup de patrons du bâtiment. » Ce virage vers l'économique, c'est en quelque sorte un retour aux sources pour le Rotary, créé au début du xxe siècle par un avocat américain, Paul Harris, pour mettre les professionnels au service des autres. Avec des critères d'admission basés sur les « classifications » pour panacher au maximum les professions représentées au sein des clubs. « J'étais professeur de mathématiques appliquées à l'université de Poitiers. Cette assemblée de professionnels m'a permis de découvrir la vraie vie », note Gérard Allonneau, ancien gouverneur dans l'ouest de la France et responsable du Centre rotarien de la jeunesse, qui vient d'être élu pour deux ans au conseil du Rotary International, à Evanston (Illinois). « Je voulais avoir des contacts avec d'autres professionnels que les médecins », abonde Catherine Noyer-Riveau, gynécologue obstétricienne dans le Val-d'Oise, elle aussi une ancienne du conseil.

 

Difficultés de recrutement

À l'image du Sri-Lankais K.R. Ravi Ravindran, président fondateur de Printcare, leader mondial dans l'industrie de l'emballage du thé et président mondial jusqu'en juin dernier, le Rotary veut s'ouvrir aux professionnels « actifs ». « À l'origine, le Rotary était composé de professionnels en activité. Aujourd'hui, nous avons surtout des professions libérales et beaucoup de retraités. C'est plus facile de recruter un notaire qu'un industriel », reconnaît Gérard Allonneau. « Autrefois, il fallait avoir la signature de son entreprise pour entrer. Aujourd'hui, un rotarien est quelqu'un qui peut gérer son emploi du temps, d'où la forte présence des professions libérales. Nos difficultés de recrutement viennent justement de la disponibilité des gens », renchérit Catherine Noyer-Riveau, petite-fille et fille de rotariens, qui a cumulé les premières : première femme présidente de club en France, première Européenne élue gouverneur et première femme élue directrice au conseil du Rotary, qui n'a admis les femmes qu'en 1989. Et encore, à la suite d'une décision de la Cour suprême américaine saisie pour discrimination sexuelle ! Gouverneur depuis juillet dernier, Kathy Maisonneuve pointe encore 14 clubs non mixtes dans son district - 1760 - qui couvre cinq départements du sud de la France. « Les femmes sont venues au Rotary car c'est un vivier de recrutement », confie un président de club du centre de la France.

Recruter, c'est la mission, et le casse-tête, de chaque président de club nouvellement élu - ils changent chaque été. Car le coefficient d'attrition, le taux de « churn » comme disent les opérateurs de téléphonie mobile, est regardé à la loupe. « Entre 5 et 10% à Paris », selon Catherine Noyer-Riveau, dont le club parisien recrute, en moyenne, 25 à 30 personnes par an. « Rotary International, qui compte 1 240 000 membres a recruté environ 1,2 million de personnes au cours des sept dernières années et pourtant les effectifs diminuent », note Gérard Allonneau, qui mise beaucoup sur l'Asie pour assurer la pérennité du mouvement. Du coup, les présidents de clubs se mettent en quatre pour s'adapter aux contraintes professionnelles de chacun, en organisant les réunions de travail le matin autour d'un café, entre midi et deux, voire par visioconférence ou par Skype. « On a même créé des e-clubs ! » vante Gérard Allonneau. Mais déjeuners et dîners rotariens font toujours partie des rites, comme dans ce club parisien du xviie arrondissement qui réunit près de 150 personnes, tous les mercredis midi, à l'Hôtel Meurice...

À chaque club, aussi, la liberté de moduler sa cotisation annuelle, qui peut varier de 600 euros dans le Val-d'Oise, à 800 ou 900 euros comme à Vichy, voire 1 200 euros en Alsace et jusqu'à plus de 2 500 euros dans certains clubs parisiens, dont les plus importants comptent 250 à 300 membres. « Rien à voir avec les clubs américains qui ont souvent 500 membres, et jusqu'à 800 pour celui de San Diego », relève Catherine Noyer-Riveau. Pour attirer les plus jeunes - et aux États-Unis ne pas être accusé de discrimination -, le Rotary a aussi créé des Rotaract, ouverts exclusivement aux 18-30 ans, sans contraintes de réunions, ni de siège social, avec des cotisations autour de 50 euros. Mais les jeunes changent souvent de région après la fin de leurs études et s'évaporent. Aussi à Aix, Kathy Maisonneuve veut créer une « data base », pour « ne pas laisser les jeunes partir dans la nature ». Conscient du problème, Evanston - le siège - vient de modifier sa « législation » et d'autoriser les rotaractiens à être également membres d'un club Rotary. Une réforme qui laisse sceptiques beaucoup de rotariens français car « les jeunes ne voudront pas payer 100 euros de cotisation par mois ».

 

« Fonctionner en mode projet »

Reste que « le profil du rotarien est celui d'un homme âgé de 40 à 55 ans en moyenne et CSP + », rappelle Régis Allard, consultant en ressources humaines et directeur du Rotarien, l'organe officiel du Rotary en zone francophone (38 000 abonnés) sur la foi d'une enquête de notoriété réalisée tous les trois ans. « On fait un mauvais procès au Rotary qui véhicule une image de nantis et de notables se réunissant autour d'un banquet, déplore Kathy Maisonneuve, ancienne directrice marketing et communication d'EY, élue en juillet gouverneur d'un district qui couvre une bonne partie de Paca. Car le Rotary s'est réveillé. De plus en plus de chefs d'entreprise et de jeunes viennent. Dans mon club du Tholonet, j'ai un expert-comptable, un président de fédération professionnelle, un gestionnaire de patrimoine, un patron d'agence de com... Mais il faut se bouger, se remettre en cause et fonctionner en mode projet. » « Si on demande à un jeune cadre de venir à une réunion statutaire tous les lundis, ça ne marche pas. En revanche, si on l'envoie dans une classe d'inclusion scolaire du xxe arrondissement pour intervenir le mercredi auprès d'enfants en situation de handicap ou pour apporter ses compétences en informatique aux enseignants, ça passe », résume Gérard Allonneau. L'avenir, en clair, c'est l'action.

Un message qui a séduit Hervé Cristiano, 38 ans, créateur de Kaiman, une grosse entreprise de la région, entré en juin au Rotary. « Je suis en train de faire grossir ma boîte pour prendre des parts de marché, j'ouvre un deuxième restaurant, je soutiens un incubateur de start-up... Mais on trouve toujours du temps. » Ce qui le motive, c'est de construire des écoles à partir de containers en Haïti. « J'avais besoin de m'engager dans une action humanitaire pour mon équilibre personnel. Je suis entré au Rotary pour ça. » Avec ce projet, il est servi. C'est le club d'Aix-Sainte-Victoire qui porte le dossier avec l'aide d'un club hôte en Haïti. Mais pour un projet de dimension internationale, de plusieurs centaines de milliers d'euros, il a fallu démarcher les clubs du district et les convaincre de s'associer, obtenir le concours financier de la Fondation Rotary avec toute la « mécanique financière que cela suppose », travailler avec une association humanitaire, Citizenship, qui a l'expérience de la récupération des containers et proposer un partenariat aux poids lourds régionaux comme CMA-CGM.

 

Un parcours initiatique

L'humanitaire, c'est aussi le moteur de Dimitri Pascual, spécialiste en gestion de patrimoine à la Société Générale, recruté à l'âge de 27 ans par le club de Houilles-Bezons-Sartrouville. Il a accepté de participer au film Le sens de l'autre, destiné à promouvoir le Rotary en France. « Un aller et retour en Inde sur un week-end pour le volet humanitaire et une journée de tournage à Paris, sur le parvis de la Défense. Ça m'a permis de voir l'aboutissement de projets du Rotary sur le continent indien. » Son dada, c'est l'eau, une des grandes causes internationales soutenues par le Rotary. Aujourd'hui, il préside la commission Eau sans frontières et fait fonction de trésorier pour ce projet de taille internationale. « Au Rotary, on donne le temps qu'on peut, mais c'est compatible avec un job de cadre. »

« Je suis entré au Rotary il y a six ans. Je n'avais pas de temps, j'étais toujours le nez dans le guidon, mais j'y ai trouvé mon équilibre personnel, explique Bernard Letailleur, PDG d'ARV, qui a pris la présidence du Club emploi cadres de Meaux. Et aujourd'hui, je suis plus efficace parce que je me sens mieux. Mais je ne suis pas là pour les affaires. Dans la banlieue de Meaux, on ne rencontre pas beaucoup d'acheteurs du secteur aéronautique ! » Avis à ceux qui voudraient profiter du réseau rotarien pour faire du business. Les brebis galeuses sont vite repérées et exclues. « Si quelqu'un vient au Rotary pour ça, il en ressort très vite car on demande aux gens de donner de leur temps et de mettre leurs compétences professionnelles au service des autres », affirme Catherine Noyer-Riveau. « Pour être admis dans un club, il faut suivre un parcours initiatique de six mois, sous la houlette du parrain qui suit son filleul, avant que le club ne valide l'entrée sur la base de l'éthique personnelle et professionnelle », résume Michel Thoraval, un colonel de gendarmerie en retraite qui préside l'un des deux clubs vichyssois.

Même genre de sanction pour les deux sites commerciaux qui se sont recommandés du Rotary : le dossier a été transmis au service juridique d'Evanston. Au Rotary, on ne badine ni avec l'éthique, ni avec l'engagement. « Une notion commune au Centre des jeunes dirigeants et à la Jeune chambre économique », souligne Romuald Le Guilloux, qui a créé il y a deux ans une société spécialisée dans les diagnostics électricité et sécurité incendie et qui est passé par les deux associations avant d'entrer au Rotary. Nouveau membre du conseil, Gérard Allonneau avait créé une Jeune chambre économique en Poitou-Charentes, avant de devenir rotarien. Mais l'ancien officier de gendarmerie Michel Thoraval, qui a connu six clubs au gré de ses mutations, dévoile d'autres viviers de recrutement. Comme La Table Ronde, où la limite d'âge est de 40 ans. Mais à 41 ans, on est jeune chez les rotariens.

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